Beyond The Dawn Préquelle : Kisara & Dohalim
Conflit, conséquences. La discorde inhérente au changement était partout. Elle prenait néanmoins de nombreuses formes et les gens l'avait gérée de façons toutes aussi diverses.
***
"Alors comme ça, ils voudraient qu'on les retrouve à Niez ? Intéressant..."
Les yeux encore rivés sur la lettre dans ses mains, Dohalim s'appuya contre le dos de sa chaise.
"Il ne reste pas longtemps avant la date de rendez-vous."
"C'est vrai, et si on veut y être, il faut qu'on parte maintenant."
De l'autre côté du bureau, Kisara acquiesça. Ils se trouvaient tous les deux dans un bâtiment de Pelegion, capitale du Ganath Haros. Des documents étaient empilés de manière organisée sur la table et les murs étaient couverts de bibliothèques. C'était une pièce prévue pour le travail.
L'armure de Kisara jurait cruellement avec les lieux, mais cela ne semblait pas la gêner pour un sou. Sa posture droite contrastait avec celle de Dohalim, mais ils étaient tous les deux détendus et s'observaient avec la même douceur.
"J'ai cru comprendre qu'un autre groupe de Reniens est arrivé récemment. Est-ce que tu peux vraiment te permettre de partir maintenant ?"
Dohalim était devenu une sorte de représentant des Reniens à Pelegion. Il n'avait pas beaucoup de liberté. Mais si cela le gênait, il n'en montrait rien.
"Je ne peux pas refuser alors que tu es venue jusqu'ici pour me prévenir."
"Ce n'est pas juste, Dohalim."
Néanmoins, ils ne pouvaient tout simplement pas ignorer le contenu de la lettre. Celle-ci décrivait une situation dont ils étaient les seuls à pouvoir s'occuper.
Elle venait d'Alphen et Shionne. Ils l'avaient envoyée à Kisara, à Viscint, et lui avaient demandé d'informer Dohalim. Et ce n'était pas tout. Law avait été chargé de contacter Rinwell.
Rinwell vivait à Viscint, comme Kisara. Demander à Law de faire le chemin depuis une autre ville pour parler à Rinwell au lieu de demander à Kisara de le faire n'avait aucun sens.
Elle ne savait pas si l'idée venait d'Alphen ou de Shionne, mais elle devinait ce qui leur était passé par la tête. La lettre avait amené Kisara à Pelegion, où elle faisait maintenant face à Dohalim. Leur requête était peut-être illogique, mais les faits étaient là.
Il en allait de même pour Law, qu'il l'ait compris ou non.
"Et toi ? Les troupes vont avoir des difficultés si leur capitaine s'en va pendant une longue période."
"Je ne compte pas partir longtemps, et je leur ai laissé une liste d'exercices à faire pendant ce temps. Je les testerai à mon retour pour voir s'ils ont bien respecté mes ordres."
"Comme c'est responsable de ta part."
Si cela avait vraiment été un problème, Kisara n'aurait pas été dans la pièce à l'heure actuelle.
Ils le savaient tous les deux.
Entraîner les soldats à protéger Viscint... C'était le travail de Kisara maintenant. Elle s'était particulièrement distinguée dans les arts du combat et était considérée comme un modèle pour tous, la capitaine parfaite pour une ville habitée conjointement par des Dahniens et des Reniens.
L'enseignement de Kisara était strict et inflexible. Dohalim avait un peu de pitié pour ses soldats. Mais bien sûr, il ne le dirait jamais à voix haute.
"Quand j'ai mentionné que j'allais à Pelegion, tout le monde voulait savoir quand tu reviendrais."
"Je suis sûr que tout se passe très bien sans moi."
"Ce n'est pas qu'ils ont besoin de ton aide, c'est qu'ils t'aiment. Tu leur manques."
"Tout le monde, c'est bien ça ?"
Dohalim se tourna vers Kisara avec un regard inquisiteur. Mais Kisara esquiva la question et ne répondit rien.
Les coins de la bouche de Dohalim s'abaissèrent, presque comme s'il faisait la moue, puis il se leva en signe d'abandon.
"Eh bien, on peut dire que tu m'as montré l'exemple de manière remarquable. Je vais me charger des instructions et du transfert de pouvoir pendant mon absence."
Il n'avait pas fini que Kisara était déjà debout. Comme si c'était le réflexe le plus naturel qui soit.
"Laisse-moi t'aider."
Pendant un bref instant, une esquisse de sourire se dessina sur le visage de Dohalim, mais il leva rapidement la main pour se ressaisir.
"Je peux m'en occuper tout seul. Tu n'auras pas à attendre longtemps. Et si tu en profitais pour te promener ?"
***
En quittant le bâtiment, les rayons du soleil éblouirent brièvement Kisara.
Elle regarda autour d'elle, les yeux plissés, et aperçut la forteresse qui se dressait plus loin. Le château de Del Fharis. C'était autrefois la demeure du seigneur qui régnait sur la région.
Le château avait une lourde signification, que ce soit pour les Dahniens ou les Reniens. En tant que seigneur lui-même, Dohalim n'aurait jamais utilisé cet endroit. Mais il était trop grand pour être détruit et ils n'avaient de toute façon pas la main-d'œuvre disponible pour cela. Par conséquent, les portes du château restaient closes et personne n'avait le droit d'y entrer.
Combien de temps faudrait-il pour que cette atroce relique du passé disparaisse enfin ? Et valait-il mieux se souvenir, ou tout oublier ? Les souvenirs pénibles pouvaient raviver de vieilles douleurs, mais ils pouvaient aussi servir d'avertissement ou de leçon.
Kisara sortit le vieux bracelet qu'elle gardait sur elle. C'était un souvenir de son frère dont elle ne se séparait jamais. Elle l'observa un instant, puis le serra entre ses doigts, comme pour s'assurer qu'il était bel et bien là avant de le ranger de nouveau.
Il ne restait que peu de gens dans les rues, la plupart d'entre eux des Dahniens ou des gens venus d'autres pays. Pelegion était divisée en trois niveaux. Les Dahniens qui demeuraient ici à l'origine et les Reniens vivaient sur des niveaux différents. Kisara était actuellement au niveau le plus élevé.
Elle repensa à sa conversation avec Dohalim, quelques instants plus tôt. Elle lui faisait entièrement confiance, mais ses craintes n'étaient pas infondées.
Kisara leva la tête. Elle pouvait la voir, haut dans le ciel, au-delà même des nuages, tels des pierres ou des débris au cœur d'une rivière.
Lenegis. Les restes de ce qui était autrefois le quartier général des Reniens.
Lenegis avait été détruite quand les mondes avaient fusionné, un an plus tôt. Les Reniens avaient réussi à fuir à bord de leurs vaisseaux, mais ils avaient été forcés de se reposer sur les Dahniens qu'ils avaient jusque-là réduits en esclavage. Soudain, les Reniens s'étaient retrouvés sans les esclaves et les machines sur lesquels ils s'étaient toujours reposés. Nombre d'entre eux n'étaient même pas capables de faire quoi que ce soit.
Ignorer les Reniens irrités par cette déchéance n'aurait fait qu'aggraver les conflits avec les Dahniens. Pour éviter cela, il fallait réunir les Reniens en un seul endroit et c'était Pelegion qui avait été choisie pour les accueillir.
Dohalim était plus ou moins la pierre angulaire de cette politique. En tant que dernier seigneur, il pouvait contenir l'opposition et faire tampon avec les Dahniens pour protéger les Reniens de tout désavantage excessif. De plus, il pouvait instaurer une certaine autonomie chez les Reniens et les guider vers une coexistence pacifique. C'était la mission qu'il avait entreprise et la vision de l'avenir qu'il avait en tête.
Néanmoins, même si certains Reniens s'étaient montrés coopératifs, ils étaient en minorité. Kisara trouvait cela frustrant, et les problèmes posés par son propre travail n'aidaient pas. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas eu l'occasion de se rendre à Pelegion comme ça.
Dans tous les cas, beaucoup de choses avaient changé depuis un an.
Kisara observa les alentours une fois de plus. Ça ressemblait toujours à la Dahna qu'elle avait connue, mais les différences étaient notables. La plus visible d'entre elles se trouvait dans le ciel, au-dessus d'eux. C'était encore plus frappant que les ruines de Lenegis. Ce n'était pas ce qu'on y voyait, mais ce qui avait disparu.
Rena. Le deuxième des mondes jumeaux, qui occupait une grande portion du ciel de Dahna. Là où la planète se trouvait autrefois ne demeurait plus qu'un grand ciel bleu, comme si quelque chose avait été retiré.
Dahna et Rena n'étaient plus qu'une, mais cela ne signifiait pas que Rena n'existait plus. Ce spectacle lui rappela qu'elle voyait la disparition de Rena du point de vue de Dahna. Elle avait beau avoir été impliquée dans les événements qui avaient mené à la situation actuelle, cela restait un fait. Mais dans ce cas, comment devaient l'avoir vécu la majorité des Dahniens et des Reniens ?
Kisara fixa le ciel du regard sans savoir ce qu'elle recherchait.
"Tu vois quelque chose ?"
Elle se retourna pour regarder Dohalim, qui la rejoignait depuis l'entrée du bâtiment.
"C'est tout le contraire. Je ne vois rien."
En répondant, elle tourna de nouveau les yeux vers le ciel. Dohalim suivit son exemple.
"Le reste du ciel est identique, et pourtant j'ai l'impression qu'il y a un énorme trou ici... Ça fait un an, mais c'est quand même parfois déroutant."
"J'imagine qu'il fallait s'y attendre. Ce que l'on prenait autrefois pour acquis n'existe plus."
"Si Lenegis existait toujours, tu ne serais pas ici à l'heure actuelle."
Dohalim se serait probablement installé sur Lenegis, si celle-ci était toujours fonctionnelle. Et cela signifiait qu'il aurait fallu un vaisseau pour s'y rendre, ce qui aurait été compliqué pour une Dahnienne. Le vaisseau Falneitz avait été perdu un an plus tôt, au cours de la guerre. Ils n'auraient pas pu se tenir côte à côte si les événements s'étaient déroulés autrement. La présence de Dohalim à Pelegion était le résultat de la destruction inattendue de Lenegis, après
tout.
Kisara se ressaisit et raffermit sa détermination. Elle devait rester inflexible.
"J'imagine que tu en as fini avec tes préparatifs ?"
"En effet. J'ai trouvé des gens qui pourront s'occuper des affaires urgentes. Mon absence temporaire ne devrait poser aucun problème. J'ai également achevé les préparatifs pour notre voyage."
Il avait l'air fier de lui, d'une certaine façon. Un sourire en coin voulait s'installer sur le visage de Kisara, mais elle le retint. Il allait de l'avant, comme il avait juré de le faire l'année précédente. Il avait aussi l'air un peu triste, mais la joie et la fierté restaient plus fortes. Elle allait juste devoir travailler aussi dur que lui.
Et avec ces pensées, elle se renfrogna immédiatement.
"Kisara ?"
Il était clair à sa voix qu'il avait remarqué son changement d'humeur. Sans faire attention à son inquiétude, elle se dirigea brusquement vers lui et pointa son doigt sur sa poitrine.
"Toutes mes excuses. Mais ton attache est de travers."
"Ah, je me suis peut-être un peu trop pressé."
"Maintenant que je regarde de plus près, c'est mal ajusté ici aussi. Ne me dis pas que tu te promènes toujours comme ça ?"
"Nous nous apprêtons à partir en voyage, Kisara. Ce n'est peut-être pas ce genre de détail qui devrait nous préoccuper ?"
"Une apparence désordonnée reflète un esprit désordonné. C'est le tout début du voyage, il faut qu'on commence mieux que ça."
"Pour être honnête... Je trouve que je me suis quand même assez amélioré."
Kisara se dépêcha d'ajuster ses vêtements alors qu'ils discutaient.
Peu importait à quel point le monde se transformait, c'était quelque chose qui n'avait pas changé du tout. La question était plutôt de savoir si cela allait changer un jour.
"Cela me rend heureux."
Son honnêteté soudaine lui fit lever la tête et leurs regards se croisèrent.
"Qu'est-ce qui te rend heureux ?"
"Que les choses soient à leur place."
Les mains de Kisara s'immobilisèrent. Il lui fallut un moment pour saisir le sens de ses mots. Elle ferma les yeux. Toute énergie sembla quitter son corps.
Puis elle expira doucement.
Lentement, ses paupières se rouvrirent. Son regard était doux, le genre que l'on accordait à un compagnon, que l'on réservait à une seule personne.
"Je vois."
Ils prirent un instant pour s'imprégner de leur bref échange.
Ce moment allait-il simplement passer puis disparaître ? Et si oui, comment ? Elle n'en savait rien.
Le fait est qu'ils étaient là...
L'un libéré du passé, fermement concentré sur ce qui l'attendait. L'autre ayant juré de servir de bouclier et offrant sa protection et son soutien. Tous deux vivaient pour l'avenir. Un avenir qui leur donnait un foyer, une place.
Ils allaient marcher. Marcher tout droit vers cet avenir. Et ils ne seraient pas seuls. Même s'ils n'étaient pas physiquement l'un avec l'autre. Désormais, même pour un court instant...
Un sourire spontané partagé. Un hochement de tête échangé.
Une main tendue. Une main serrée.
"Allons-y, Do."
***
